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Post-confinement : qu’avons-nous appris de cette crise sur le monde du travail ?

L’année 2020 a été très particulière pour les salariés : crise sanitaire, confinement, déconfinement, incertitudes économiques et sociales… Les impacts sur l’environnement de travail sont immenses : mise en place du télétravail, nouveaux espaces de travail, renouveau managérial… Ces bouleversements nous invitent à repenser l’expérience collaborateurC’est-à-dire, selon Séverine Loureiro*, la somme des perceptions et des émotions ressenties lors des interactions du collaborateur avec son organisation. Pour la rentrée 2020, quels sont les points d’attention ? Au cœur d’un contexte sensible, quelles pratiques faut-il mettre en place pour préserver une expérience collaborateur engageante ?

 

1. La nécessité d’une nouvelle organisation du travail post-confinement

Post confinement organisation du travail

Une enquête menée par le cabinet Gartner* montre qu’après la crise liée au Covid-19, 74% des entreprises ont l’intention de proposer du télétravail à leurs salariés. Le travail à distance s’est imposé depuis le 17 mars : plus de 30 % des salariés l’ont expérimenté à plein temps et, souvent, en mode “dégradé”, à savoir sans préparation organisationnelle ni accompagnement. Pour autant, l’expérience a majoritairement plu. D’après une enquête du cabinet Murano Conseil, 83% des salariés souhaitent intégrer durablement le travail à distance dans leur entreprise. Les freins primaires tels que les difficultés techniques, la peur de l’isolement ou le manque d’organisation, ont été levés face à l’urgence. Conséquence ? Une nouvelle culture du travail semble émerger, qui, pour se pérenniser, nécessite une nouvelle organisation du travail fondée sur :

  • Plus de flexibilité dans les horaires et la gestion des équipes
  • La fin du mythe du présentéisme
  • Un management orienté résultats et objectifs
  • Une prise en compte et le respect des rythmes individuels

2. La fin du micro-management

L’expérimentation à grande échelle du télétravail préfigure la fin du “command & control”, le management directif encore prédominant en France. Ce micro-management traditionnel habitué au présentéisme a dû lâcher prise en accordant plus d’autonomie et de confiance aux collaborateurs.

Et si c’était l’opportunité de réinventer durablement les pratiques managériales ?

Effectivement, cette configuration inédite invite à basculer vers un autre paradigme : celui du “servant leader” popularisé par Robert Greenleaf*. Plus axé sur le leadership, ce management repose sur du soutien émotionnel, de l’écoute et de la reconnaissance. En pratique, il s’agit d’accompagner ses équipes de manière plus humaine et participative. Système de feedback continu, mise en place d’ateliers collaboratifs, incitation à plus d’innovation individuelle et développement personnel… Pendant le confinement, certaines entreprises ont, par exemple, lancé des challenges quotidiens à leurs salariés pour développer leur créativité et la prise d’initiatives. Le cabinet de conseil Square a organisé quotidiennement un “Home Challenge” via leur réseau social interne : l’équipe de la communication postait une idée de défi et les collaborateurs volontaires y participaient en proposant des idées, des conseils, des bonnes pratiques…

3. L’essor de la formation à distance

Le télétravail a permis de développer une nouvelle culture de la formation. Les salariés ont pris conscience qu’ils pouvaient apprendre seuls, sans nécessairement avoir de formateurs à leurs côtés, “en présentiel”. Le développement des compétences numériques en est un exemple : pour utiliser le panel d’outils de communication et de collaboration (Zoom, Teams, Skype, Slack…), de nombreux salariés se sont auto-formés sur le web ou via l’aide de leurs collègues.

De plus, le Ministère du Travail a largement encouragé les entreprises à profiter du confinement pour former leurs salariés. Dans le cadre du chômage partiel, le dispositif d’aide à la formation du Fonds national de l’emploi – FNE-Formation – a été renforcé par la prise en charge des coûts pédagogiques engagés, sans plafond horaire. Conséquence ?  Les demandes de formations à distance ont explosé ! Dans un article du Figaro, Pierre Courbebaisse, président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) révèle qu’habituellement la formation à distance représente environ 10 % des demandes. Or, depuis le 17 mars, les volumes ont largement doublé, voire triplé. Ainsi de nombreux organismes ont proposé des accès gratuits en ligne à une sélection de contenus tels que LinkedIn Learning, l’ESSEC, Udemy…

Cette période de confinement a donc changé la représentation, souvent négative, des salariés quant au e-learning. Et cela les a poussés à “ancrer” des réflexes d’auto-apprentissage. Ainsi, un nouveau rapport à la formation, plus agile et individuel, émerge en entreprise. Il pose les bases de “l’entreprise apprenante”. Il reviendra à l’employeur de maintenir cette dynamique sur la durée grâce au digital, notamment. Par exemple, la mise à disposition d’une plateforme de formation à distance avec des contenus attractifs, la personnalisation des parcours, la facilité d’accès aux trainings, l’utilisation d’un SIRH collaboratif pour accélérer le recueil de besoins…

4. L’émergence d’un nouveau “patrimoine de compétences”

Depuis mars 2020, le développement de nouvelles compétences internes s’est accéléré afin de s’adapter à l’organisation du travail à distance et aux nouveaux outils de travail.

Quelles sont-elles ?

  • Les soft skills, d’abord, car la distanciation physique oblige les télétravailleurs à muscler leurs capacités de communication et d’autonomie et leur aptitude à s’auto-organiser… L’agilité, essentiellement, est ce qui leur a permis de jongler entre les contraintes familiales et les impératifs professionnels.
  • Puis, des compétences de leadership se sont également révélées. En effet, selon une étude de Mckinsey*, la pandémie présente toutes les caractéristiques d’une crise généralisée dite de “landscape scale[1] à savoir “un enchaînement d’événements inattendus et inconnus qui génère une incertitude majeure, conduisant à une double perte de repères et de contrôle, ainsi qu’à un choc émotionnel”. Les dirigeants doivent donc éviter de surréagir et s’appuyer sur leur posture de leader. Fixer des priorités claires, favoriser la collaboration et la transparence entre toutes les équipes ou encore partager les informations.
  • Pour finir, l’impératif de se mettre au numérique demeure le grand tournant de la crise. Les salariés ont pris en main les outils de communication et de gestion de projet en un temps record.

Ces trois typologies de compétences sont capitales pour relancer durablement la dynamique économique. Pour cela, l’entreprise doit reconnaître ce nouveau “patrimoine de compétences” puis, le consolider via une politique de développement des compétences ambitieuse en phase avec les enjeux à venir.

5. L'importance du lien social comme levier de motivation post-confinement

Post confinement lien social

La cohésion d’équipe est devenue l’enjeu central depuis le début de la crise. Un salarié sur deux s’estime moins connecté à ses collègues ce qui souligne le besoin de se retrouver, même virtuellement. Ainsi, dans beaucoup d’entreprises, le nombre d’échanges a explosé. Une hausse de 350% des appels passés ou reçus sur Slack a été constatée depuis le début du confinement ! Afin de compenser la distance sociale, de nombreuses initiatives ont vu le jour afin de stimuler l’esprit d’équipe et les moments de partage. Fizzer, éditeur de cartes postales personnalisées en ligne, a lancé des e-café hebdo. Captain Contrat propose à ses salariés des cours de yoga en visio afin de bouger tout en renforçant les liens entre collègues. Au final, loin de réduire le sentiment d’appartenance, le confinement a réinventé une forme de communication et d’attention à l’autre.

Un témoignage intéressant de Marie-Pierre Fauconnier*, PDG de Sibelga : “Du confinement, j’ai découvert la valeur et la force du terme “ensemble”. Du fait de la distance, les collaborations […] ont fait place à l’entraide, l’écoute et la co-construction. Au terme du confinement, je trouverai le temps et l’espace pour renforcer les liens interprofessionnels”. Ces nouvelles routines centrées sur l’humain vont donc perdurer. Elles sont un atout incommensurable pour renforcer le collectif de travail, levier clé du retour à la croissance.

6. La qualité de vie au travail au coeur des enjeux RH post-confinement

44% des salariés présentaient de la détresse psychologique selon un sondage du cabinet Empreinte Humaine* et OpinionWay publié en avril 2020. Face aux circonstances extraordinaires et à leurs impacts sur la santé des salariés, les employeurs ont renforcé leur approche en faveur de la qualité de vie au travail.

Tout d’abord, via des dispositifs d’écoute tels que les baromètres ou les enquêtes régulières pour prendre le pouls des équipes et relever les risques éventuels. Puis, en termes d’accompagnement, différents programmes se sont développés. Des cellules d’écoute gérées par des psychologues, des cours de méditation et de relaxation en ligne, des formations de managers aux risques psychosociaux (RPS), etc.

L’objectif est d’assurer au maximum la “sérénité psychologique”. Cette notion a été forgée au milieu des années 90 par Amy Edmondson. Ses études établissent une corrélation positive entre sérénité psychologique, innovation, croissance et performance, au sein d’équipes de travail. En période de crise, on comprend alors l’importance de prendre soin de ses salariés. En période post-confinement également ! Il faudra continuer à les rassurer car 66% des salariés (toujours selon le sondage d’Empreinte Humaine) affirment que leur engagement au travail dépendra de la façon dont l’employeur se préoccupe de leur bien-être. Pour cela, il faudra renforcer les politiques de prévention des RPS et les initiatives QVT.

Le monde du travail post-confinement : que retenir ?

Une crise est une rupture, mais aussi l’opportunité de définir un autre équilibre, notamment pour le monde du travail :

  • Une organisation du travail plus flexible
  • La mise à mal du micro-management au profit de l’innovation managériale
  • L’émergence de nouvelles habitudes d’apprentissage
  • Le développement de compétences nécessaires à l’employabilité et la croissance
  • Le lien social comme vecteur indispensable à la performance
  • Une écoute renforcée des salariés au service d’une expérience collaborateur centrée sur la QVT

Pour conclure, une citation inspirante de Serge Papin : “La pandémie que nous affrontons nous incite à revenir à l’essentiel et redéfinir une raison d’être dans chaque entreprise, qui puisse s’inscrire dans l’intérêt généralÀ travers cette raison d’être, les collaborateurs y trouveront leur “raison d’y être” et les clients leur “raison d’y venir”.”

 

Quelques-unes des sources citées dans cet article (indiquées par une étoile *) :

  • « Gartner CFO Survey Reveals 74% Intend to Shift Some Employees to Remote Work Permanently », Gartner, Press releases, 03/04/2020.
  • Travaux sur le servant leader, Robert K. Greenleaf
  • « Le leadership à l’épreuve de la crise : orchestrer la réponse à la pandémie de coronavirus et aux crises futures », Gemma D’Auria & Aaron De Smet, McKinsey & Company, Mars 2020.
  • « L’après Covid-19 : 70 patrons à cœur ouvert », Libre Eco, La libre, 2020.
  • « Sondage Empreinte Humaine et Opinion Way sur l’état psychologique des salariés français après 5 à 6 semaines de confinement : Infographie Baromètre T2 La situation s’aggrave », Jean-Pierre Brun, Empreinte Humaine, 29/04/2020.

 

[1] Selon la notion établie par Arnold M. Howitt et Herman B. Leonard, “Against desperate peril: High performance in emergency preparation and response,” in Deborah E. Gibbons, Communicable Crises: Prevention, Response, and Recovery in the Global Arena, première édition, Charlotte, NC: Information Age Publishing, 2007.

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